dimanche 11 octobre 2020

Le pouvoir de l'âme

A notre époque, il n’est plus à la mode de s'intéresser à son âme, de ce souffle mystérieux qui nous anime et qui nous relie à un monde invisible et mystérieux. Aujourd'hui, l’âme est assimilée à la psyché. Avec l'attachement à la fugacité du corps, elle a perdu son immortalité. Beaucoup se méfient de la dimension de l'immatériel, de l'incalculable, et donc non maitrisable. La religion, ce qui depuis nos origines relie l'Homme au Divin, ne fait plus sens dans notre vie. Or, c’est précisément la mémoire de ce qui est grand en nous qui nous aiderait à traverser une époque qui nous met devant un choix définitif. 

Qui suis-je ? D'où viens-je, où vais-je et que diable suis-je en train de faire ici ? Qui d'entre nous a les réponses à ces questions ? Qui se les pose ? Qui connaît son vrai visage, son talent unique et le désir de son âme ? De nos jours, on cherche ce qui est tangible, ce que l'on peut voir, contrôler, exploiter. On s’intéresse aux ressources, à la pertinence, à l’efficacité, au pouvoir d'achat, à la valeur marchande des choses - et non à la spiritualité. L'âme - le principe immatériel du vivant - n'a plus grand chose à faire dans un monde régi par des idées transhumanistes qui remplacent le naturel par l’artificiel et l’esprit par la matière. 

L'idée que nous sommes des individus - des êtres indivisibles qui existent au-delà des limites du physique – s’est perdue depuis longtemps. Depuis que René Descartes a façonné la pensée du monde occidental, l’âme n’est plus, comme on le pensait à l’Antiquité, le principe de vie de tous les êtres vivants : éléments, plantes, animaux, humains. Le religieux a perdu de son influence et importe peu dans nos vies d’aujourd'hui. De l’opium pour le peuple, de la fantaisie, une illusion pour des gens qui ont peur d’affronter le néant - et surtout un instrument de pouvoir.

Il est vrai : les croisades ont fait des millions de victimes. Des continents entiers ont succombé au zèle des messagers de Dieu auto-proclamés. L'Église catholique est une des principales responsables d'innombrables violations des droits de l'homme et les protestants n'ont guère fait mieux. Martin Luther et Johannes Calvin étaient des misanthropes qui s’intéressaient surtout à leur propre salut. Alors que les catholiques peuvent s’acheter une place au paradis, les protestants, eux, sont condamnés depuis leur naissance s’il en a été décidé ainsi.
Liens rompus

Il n’est pas étonnant que, au fil du temps, notre foi se soit perdue : la foi en Dieu, la foi dans la bonté de l'homme, la foi dans ce qui est vrai, beau et grand. Ainsi, l’image que l'on se fait aujourd'hui des humains nous présente comme des égoïstes qui sont en train de jouer leur droit de vivre sur cette planète. C’est au moins comme beaucoup d'entre nous voient les autres. Nous ne nous aimons pas et nous finissons par défaire tous les liens : les liens envers nous-mêmes, envers les autres, envers la Nature, envers Dieu. Le fil entre le haut et le bas, la terre et le ciel a été coupé et la religio – ce qui relie la matière et l’esprit – s’est défaite. 

Depuis que Galileo Galilei a reconnu que ce n'est pas la terre mais le soleil qui est le centre de notre univers, la relation entre l'Homme et son Dieu a pris un coup. Si Isaac Newton lui concéda encore le rôle du grand conducteur de la machine universelle, Charles Darwin a fini par détrôner les dieux. Depuis, la loi de la jungle a été scientifiquement prouvée et l'âme est tombée dans l'oubli. Et comme coup de grâce, les Lumières et la fin de l'Inquisition nous ont libérés non seulement des idées de méchantes sorcières, mais aussi des anges et autres trucs à plumes qui peuplaient auparavant notre univers. 

L'époque où non seulement les humains mais aussi tout ce que la nature produit avait une âme est révolue depuis longtemps. Pourtant, avant que notre science ne les dégrade en objets, les éléments, les planètes, les plantes, les animaux et les paysages étaient considérés comme des entités vivantes. La chosification de la Nature a rendu possible la destruction massive de notre environnement. Si nous en ressentons aujourd’hui les conséquences, nous sommes loin des liens qui existaient auparavant entre l'Homme et la Nature, l'Homme et Dieu, l'Homme et l'Homme.

La perte de l'essentiel

Nous avons perdu le contact avec ce qui nous donne vie. Au lieu de nous intéresser aux origines du vivant et aux lois de l’univers, nous cherchons à nous soumettre la vie et a tout contrôler. Nous sommes les rois du monde, de grosses têtes, et nous voulons faire mieux que la Nature. Nous ne nous approchons plus respectueusement du miracle de la Vie et nous ne connaissons plus l’humilité et l’émerveillement. Nous avons pris nos lames et nos bistouris pour décomposer le Vivant. Le regard plongé dans le moindre détail, nous avons perdu de vue l’ensemble. 

Ce n’est pas la quête de l'essentiel qui nous intéresse. Nous nous penchons sur le symptôme et cherchons à tirer un maximum de bénéfices des mesures destinées à le supprimer. Notre médecine est l’exemple le plus éclatant que nous ne nous intéressons pas aux causes des problèmes. Nous restons à la surface et évitons de chercher les vraies causes de notre mal-être et de nos maladies car nous ne sommes pas prêts à changer fondamentalement. Efficacité, performance et profit immédiat sont les maître-mots d’une société qui a su tout transformer en ressource. C’est ainsi qu’aujourd’hui, il n’y en a plus pour tout le monde. Tous n’ont pas assez à manger. Nous acceptons que, tous les jours, 25.000 personnes meurent de faim. Certains trouvent même un bénéfice à cette monstruosité car, au moins, cela nous fait de la place. 

Sous le joug de nos caprices

C'est ainsi que nous avons fini par transformer un paradis en enfer. Nous avons remplacé l’éternité de notre âme par la fugacité de notre psychisme. Je veux ! Guidés par nos plus basses pulsions, nous nous jetons avidement sur la marchandise. A la merci de nos humeurs, nous nous laissons emporter par nos émotions, sans aucune emprise sur ce qui se passe en nous. Nous nous identifions à nos peurs et nos angoisses, nos ressentiments et nos rancunes - comme si nous n'étions rien d'autre que ces « états d’âme » passagers que nous avons tant de mal à maîtriser. Comme un navire sans capitaine, nous nous laissons emporter par toutes les vagues qui traversent notre quotidien. 

Esclaves de nos caprices, nous courons après nos désirs et nos pensées hors de contrôle. Nous nous inquiétons pour un rien, nous redoutons l'avenir et nous accrochons à nos vieilles histoires. Nos blessures se collent à nous et nous emprisonnent dans la honte, la culpabilité et la rancune. Regardez ce que l’on m’a fait ! Quelle injustice ! Vengeance ! Nos vieux souvenirs voyagent d’une génération à l’autre et ne s’effacent pas tant qu’il nous manque le courage de les regarder vraiment. Pour arriver à supporter une existence entre tourment et ennui, nous n’avons qu’à nous distraire comme nous le pouvons pour ne pas voir le mur dans lequel nous sommes en train de nous enfoncer.

Au-delà de la matière

Où allez-vous ? Que faites-vous de la vie qu'on vous a donnée ? Est-ce vraiment ce que vous voulez vivre ? C’est l’âme qui nous le demande. C’est vraiment ça la vie ? Passer entre deux néants un court instant sur cette planète pour travailler, se faire des soucis, se faire plaisir – et puis c’est tout ? Et si la réalité était tout autre ? Et si on nous avait menti en disant que nous ne valons pas plus que la poussière que nous devenons ? Si le ciel n’était pas vide ? S'il n'était pas vrai que nous sommes tout petits ? Si nous n'avions plus besoin de nous gonfler artificiellement pour donner l’impression d’être quelqu’un ? Si nous étions déjà grands, lumineux et infiniment créatifs ? Si nous l’avions seulement oublié ? Si on nous avait raconté toutes ces histoires de notre insignifiance pour nous rendre dociles afin de mieux nous manipuler, nous vampiriser, nous détruire ? 

Aujourd’hui, nous sommes arrivés au bout de notre exploration du matériel. La planète et tout ce qui est vivant sur lui est arrivée aux limites du supportable. Nous nous sommes tellement enfoncés dans la matière, nous l’avons fait exploser pour toujours mieux l’exploiter, que nous nous trouvons aujourd’hui devant les portes de l’enfer. Si nous allons plus loin encore, c’est la perte définitive. Nous avons le choix : nous enfoncer plus – ou nous lever pour marcher en direction de ce qui est beau et lumineux. 

Notre âme nous attend. Elle ne nous a pas quittés. Nous pouvons la contacter à tout moment et nous laisser guider par elle. Elle nous indique ce qui est bon et juste. Elle nous aide à voir ce qu'il faut faire maintenant. Ayons confiance en elle. Elle nous apprend à faire grandir notre conscience pour surmonter cette longue époque de la division et de la séparation et à créer la base d'une nouvelle façon du vivre ensemble. Nous ne nous laissons plus dire ce que nous avons à faire car nous sentons au fond de nous qui nous sommes vraiment. Nous reconnaissons que nous sommes à la fois uniques et unis et offrons notre talent particulier à la communauté. Ainsi, nous construisons ensemble un monde dans lequel règnent le respect de la diversité, l'amour et l’harmonie. Il y a de l'espoir, chuchote mon âme. Je l’entends bien, prête à traverser les aventures qui m’attendent déjà.

Traduction libre d'un article apparu dans le magazine allemand Rubikon

 

 

 

 




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