dimanche 11 octobre 2020

La paix commence par la parole

La violence a son origine dans nos têtes. Elle ne s'exprime pas seulement en actes, mais aussi en paroles. Au siècle dernier, le psychologue Marshall Rosenberg a développé un concept qui nous aide à traiter de manière pacifique les uns avec les autres : la communication non violente (CNV). Il ne s'agit pas d’un guide pour parents désespérés et couples en guerre, des amis qui se disputent ou des collègues qui n’arrivent plus à travailler ensemble. La CNV est beaucoup plus. Elle est un outil pour rétablir la paix dans le monde. 

Au commencement était le verbe. Les experts de la Bible ne sont pas les seuls à savoir que la parole a un pouvoir créatif et façonne les réalités. Un Oui ou un Non peut sauver des vies ou dévaster des continents entiers. Bien que nous connaissions le pouvoir de la parole, nous la manipulons sans nous en soucier. Nous faisons circuler nos messages dans les réseaux sociaux du monde entier et laissons s'exprimer notre colère et notre frustration sans retenue. Au lieu d’échanger des points de vue, on balance des insultes et des jugements. Au lieu de formuler nos propres pensées, nous likons et nous followons.

Ce qui est monnaie courante dans le monde virtuel ne se passe guère mieux dans le monde réel. Nous connaissons à peine nos voisins, dans de nombreuses familles on ne prend plus les repas ensemble et ceux qui baissent la vitre de leur voiture ne le font généralement pas pour lancer des fleurs aux autres conducteurs. De toute façon : c’est l’autre qui est potentiellement coupable. Il ne respecte pas les règles, il se comporte mal et ne veut toujours pas comprendre que j'ai raison et qu’il a tort. Et comme l'autre voit les choses exactement pareils, mais dans l'autre sens, nous sommes en train de créer mille et une occasions pour nous faire la guerre.

Le méchant, c’est toujours l’autre. C’est lui qui m’agresse. C’est lui qui ne comprend rien. Je ne fais que me défendre ou exécuter des ordres. Je fais ce que d'autres ont décidé pour moi. Ainsi, nous nous cachons derrière quelque chose qui a permis à des gens comme Adolf Eichmann d'envoyer des millions de personnes à la mort sans sourciller : ce que l’on appelle la Amtssprache. L’autre me donne un ordre, je l’exerce sans me poser de questions. C’est la loi. C’est officiel. Alors j’obéis. Aujourd'hui, nous avons une autre expression pour cacher les pires crimes contre l’humanité : il faut bien vivre de quelque chose. 

Les mots sont des armes ...

À notre époque, la communication est souvent synonyme de manipulation : comment faire pour que quelqu'un achète un produit dont il n'a pas vraiment besoin ? Comment faire en sorte que l'autre se comporte d'une manière qui me soit utile ? Les échanges respectueux et bienveillants et les relations authentiques se font rares. L’autre est devenu notre adversaire. Nous supportons les jugements que nous nous imposons mutuellement et nous nous méfions de l’autre avant même qu’il ouvre la bouche. Je le savais. Je vous l'avais dit. Il est toujours … , il ne le fait jamais...

Nos écoles et nos universités ne nous enseignent pas comment nous approcher les uns des autres de manière ouverte et curieuse. Nous avons appris à parler, à nous servir de notre langue, mais pas à saisir la dimension de ce qu’est réellement la communication. Nous avons appris à nous comparer aux autres, mais pas à nous entendre. S’il en était ainsi, nous aurions un monde plus harmonieux et plus paisible.

Dans ce contexte, au milieu du siècle dernier, le psychologue américain Marshall Rosenberg a inventé ce qu’il a appelé la communication non violente. Le terme peut paraître étrange. Pour comprendre cette méthode, il faut non seulement avoir conscience de la violence de notre langage. Il faut également comprendre que nous sommes tous concernés par cette violence. Souvenons-nous de notre enfance : Qui ne les a pas entendus ces si tu refais ça, je ne t'aime plus, ces tu es nul, tu n’y arriveras jamais, arrête de pleurnicher ? Les mots ont certainement ouvert des blessures bien plus profondes chez la plupart d’entre nous que les baffes et les claques.

Si les parents sont capables de traumatiser ainsi leurs propres enfants, il n'est pas difficile d'imaginer ce que nous sommes capables de faire à des "étrangers" ou à nos "ennemis". Pour Marshall Rosenberg nous ne sommes pas mauvais pour autant. Il n'est pas un adepte de l'idée du Homo Hominis Lupus est – l’Homme est un loup pour l’Homme. Cette idée remonte à l'Antiquité et a été reprise au siècle des Lumières pour justifier toute sorte de violence, de manipulation et d'oppression contre nous. L’Homme doit être dompté. Ne descendons-nous pas du singe ?

… ou bien des fenêtres

Pour nous rapprocher les uns des autres et apprendre à nous faire confiance mutuellement, il est important de croire que nous sommes fondamentalement bons. Pour Rosenberg, l’Homme n’est pas mauvais. A l’origine, nous sommes des êtres lumineux et bienveillants. Nous sommes des êtres qui ont profondément besoin de lien, de reconnaissance et d’amour. Notre vie dépend de la communauté dans laquelle nous vivons. Pour vivre, nous avons besoin de partager et d’échanger. Biologiquement, le moteur de la vie n’est pas, comme on nous le dit toujours, le combat et la guerre, mais la coopération et la symbiose. Nous avons besoin des autres comme de l'air que nous respirons. Sans eux, nous ne pouvons pas évoluer.

Malheureusement, nous avons oublié cela. Dès notre plus tendre enfance, on nous met en concurrence. On nous mesure, nous compare et nous monte les uns contre les autres. T’as vu tes notes ? Regarde, ton voisin travaille beaucoup mieux que toi. Ainsi, nous apprenons à jouer des épaules et des coudes et à ne pas nous laisser marcher sur les pieds. Nous croyons à la raison du plus fort et à la loi de la jungle. Et à la fin, nous ne réalisons même pas à quel point nous avons été préparés à la guerre dès le début de notre existence.

Pour que cela change, nous devons nous rapprocher de quelque chose que nous connaissons peu et qui, dans le monde dominé par la raison, nous est souvent présenté comme quelque chose de dangereux : nos émotions. Comme le grand humaniste Carl Rogers, dont il était l’élève, Rosenberg croyait que nous pouvons nous rencontrer vraiment que dans nos cœurs. Tous deux partent du principe que, lorsque la confiance mutuelle est établie, non seulement nous améliorons notre culture de la relation, mais nous favorisons également notre propre développement.

Chaque être humain porte en lui le potentiel nécessaire pour évoluer selon sa nature. Chacun a la capacité de trouver des solutions à ses problèmes. Il appartient donc aux parents, aux enseignants, aux thérapeutes et aux autorités de nous aider à trouver le chemin vers notre potentiel. Ce n’est pas l’autre qui met quelque chose en nous, qui nous bourre le crâne avec des informations qu’il juge importantes ou qu’il nous dise ce que nous avons à faire. Il est à nous d’accéder à nos propres ressources. Tout enseignement n’est pas là pour éduquer, mais pour accompagner, non pas pour dominer, mais pour faire confiance. Pas de formatage, pas de manipulation, mais une main qui nous est tendue qui nous aide à déployer ce qui est déjà en nous.

C’est bien le contraire de ce qui se passe dans notre système éducatif. Notre société n’a pas besoin de libre-penseurs, d’artistes et de créatifs, mais de serviteurs, de chair à canon et de consommateurs. On nous dit alors que nous avons besoin des autorités pour nous mettre sur la bonne voie. Le fait que nous avons aujourd’hui tendance à acheter des solutions passe-partout nous indique à quel point nous sommes loin de faire confiance à nos propres capacités. Et la façon dont nous traitons les autres nous montre à quel point nous servons un système qui risque de réduire en miettes la planète entière.

Rencontrer ses émotions

Au fond, il n’est pas si compliqué de changer et de faire la paix. Il suffit de remplacer un tu as par un je ressens. Arrêtons de toujours vouloir changer l'autre et regardons plutôt nos propres émotions, nos sentiments, nos désirs et nos besoins. C’est un pas à faire, comme si on faisait demi-tour. De ce petit mouvement dépend non seulement la qualité de notre vie, la relation avec nos partenaires, nos enfants, nos parents, nos amis, nos voisins et nos collègues, mais aussi la paix dans le monde.

La première étape de la CNV consiste donc à explorer notre ressenti. Au lieu d’accuser l'autre et de nous justifier, nous sommes invités à trouver les mots les plus appropriés pour décrire ce qui se passe en nous en ce moment. Quels sont mes sentiments face à une situation, une rencontre, une dispute ? Qu’est-ce qui se passe en moi ? Quelle partie de mon corps est concernée ? Il ne s’agit pas de dire des choses comme "Je sens que tu as tort" ou "Je sens qu'il y a trop d’émigrés dans ce pays", mais d’exprimer ce qui est réellement en train de se passer en nous : "Je me sens fragile, seul, embarrassé, nerveux, triste, joyeux, enthousiaste, ... »

La liste de nos émotions est longue et devrait être collée sur chaque réfrigérateur. Il est important de ne pas confondre les interprétations ou les jugements de valeur avec notre ressenti. Je me sens attaqué/ traité de façon injuste/ ignoré par exemple font de l'autre un agresseur et de nous une victime. Et c'est précisément ce jeu-là qu'il est important de dépasser car c’est lui qui est le fondement de tous nos conflits et de toutes nos guerres. La CNV nous permet de devenir autonome, de ne pas nous rendre dépendant du comportement de l'autre. Il s’agit d'assumer pleinement la responsabilité de nos propres sentiments, de prendre conscience du besoin qui n'a pas été satisfait et de faire une proposition pour améliorer la situation.

Quatre pas vers la paix

La CNV se déroule en quatre étapes. Elle commence par une observation : que s'est-il réellement passé ? Une observation est fondamentalement sans valeur - et d’après le philosophe indien Jiddu Krishnamurti, la forme la plus élevée de l'intelligence humaine. L'observation n'interprète pas ni n'accuse et elle n’utilise pas des mots comme "toujours", "jamais", "trop peu", "trop", "égoïste" ou "idiot". Une fois ce premier obstacle franchi, le deuxième n’est qu’un jeu d’enfant : l'expression de son propre ressenti.

Ensuite, on formule son besoin. Pas de stratégie ou de chantage comme "Si tu fais cela, alors je serai à nouveau gentil avec toi". La CNV n’est pas un outil pour mieux manipuler l’autre. Dans ce jeu, il n’y a pas de gagnants et de perdants ni de mauvais compromis. Ici, tout le monde gagne. Car tout le monde a les mêmes besoins. Nous avons tous besoin d'un toit, de vêtements et de nourriture, de sécurité et d'acceptation, d'affection et de la possibilité de nous développer.

Ainsi, lorsque j’arrive à formuler mon besoin, je peux supposer que l'autre me comprendra. Nos besoins nous relient. Ce ne sont donc plus des ennemis qui s'affrontent, mais des individus faits de la même étoffe, les membres d’une même famille. Le résultat est une offre de paix sous la forme d'une demande - et non d'une revendication. Les revendications ne donnent pas envie et nous avons tous tendance à les repousser. On les satisfait à contrecœur, sous la contrainte ou par peur. En aucun cas, ils ne nous réunissent.

Le résultat ressemble alors à ceci : "Quand je vois/entends que ..., alors je ressens ... parce que j'ai le besoin de... Serais-tu d'accord de... ?" L’idée n’est pas d’exprimer quelque chose comme "que tu saches lire tout ce que je veux sur mes lèvres et que tu sois toujours d'accord avec moi". Vivre avec les autres ne signifie pas se construire un harem. La vie en commun est un jeu où tout le monde a les mêmes droits. Mais bien que nous ayons tous à peu près les mêmes besoins et connaissons plus ou moins les mêmes émotions, nous sommes fondamentalement différents. Et c'est une très bonne chose.

Comment la vie serait-elle ennuyeuse si nous étions tout le temps d’accord ! Mais le pire serait que nous serions incapables de nous reconnaître nous-mêmes. Sans l’autre, nous ne saurions pas qui nous sommes. Car ce n'est que dans la confrontation avec les autres que nous apprenons à nous connaître mieux, non seulement nos sentiments et nos besoins, mais aussi nos limites et nos possibilités. Avec la CNV, nous avons un outil merveilleux dans la main pour arrêter de construire des murs et des forteresses et pour commencer à nous inviter les uns les autres chez nous.

Traduction libre d'un article du magazine allemand Rubikon. 


 

 

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