Cher Jean-Marc Dupuis,
Je suis abonnée à vos lettres et j’apprécie beaucoup votre
travail. Aujourd’hui, une de vos dernières publications m’appelle à vous
répondre. Je trouve très intéressant que vous évoquiez l’image d’un dragon pour
décrire le rapport aux difficultés qui nous arrivent dans la vie. Je suis l’auteur de deux livres sur le cancer (La
maladie guérit, Quintessence 2014 et Traverser
le miroir, L’Harmattan 2016) et j’utilise cette même image pour illustrer
mon approche d’un cancer du sein qui m’a été diagnostiqué il y a six ans.
Si je me sens aujourd’hui guérie, c’est bien grâce à ce
dragon qui s’est présenté à moi. Pour moi, il était avec moi, et non pas contre
moi. Je ne peux voir le salut émaner d’un quelconque acte d’agression, de
combat ou de guerre, d’autant plus s’il est mené contre nous-même. Car c’est
bien à l’intérieur de notre corps que le problème s’est développé. Je ne me
sens alors pas tout à fait d’accord avec votre interprétation du combat de
Saint Georges et me permets de partager avec vous ma vision.
Oui : Le dragon nous fait sortir de notre forteresse, de
nos habitudes, de notre vie peut-être un peu ennuyeuse. Oui : Il nous
lance de défi de regarder en face ce qui nous arrive. Car comment
voudrions-nous résoudre un problème dont nous n’avons pas conscience? Nous
pouvons nous séparer de quelque chose seulement si nous l’avons accueilli avant. Et
oui : Quand le dragon se présente, il nous offre la possibilité d’accéder
à quelque chose de précieux qui jusqu’alors était caché. Cette rencontre est
alors, comme vous le dites, une sorte de purification, de renaissance, une
épreuve qui nous transforme.
Mais non, je ne pense pas que le dragon soit un mauvais élément
de la Nature, une représentation du « Mal », et que l’idéal serait de
le tuer dès qu’il sort de sa grotte. Cette interprétation du mythe reste
attachée à une dualité qui oppose le « bien » et le « mal » qui nous sépare et qui nous garde dans une vision belliqueuse du monde qui fait
ses ravages depuis des millénaires : celle du victime, du bourreau et du
sauveur.
Si je vous comprends bien, vous voulez comme moi encourager
vos lecteurs à oser le regard et la confrontation. Nous voulons nous sortir de la
vision d’une pauvre victime impuissante qui nécessite d’un côté quelqu’un ou quelque
chose qui la fait souffrir et de l’autre quelqu’un qui la sauve. Nous
commençons à comprendre la différence entre la culpabilité qui nous attache à
cette vieille vision du monde et qui nous enferme dans le passé et la
responsabilité qui nous donne les moyens de nous positionner ici et maintenant.
Ceux qui ont dépassé l’épreuve d’une grave maladie savent que ce qui les a guéri, c’est la responsabilité
qu’ils ont décidé d’assumer face à leur maladie. Ils n’ont pas attendu que l’on
les sauve mais se sont mis en chemin eux-mêmes.
En parlant alors du « Bien » et du
« Mal » comme vous le faites, nous restons enfermés dans une vision
« diabolique » du monde, c’est-à-dire en proie à celui qui sépare et qui
déchire et qui, en passant, engraisse tout un système économique malsain. Je
pense que le moment est venu de faire le contraire et de commencer à réunir, à
mettre ensemble. Pour nous guérir et pour guérir en même temps le monde dans
lequel nous vivons, il me semble important de prendre conscience de l’interconnexion
des choses et de tisser des liens : entre nous et la Nature, entre nous et
notre entourage, entre nous et notre être profond.
Ce dragon qui crache son feu est alors pour moi plutôt un
éveilleur qu’en ennemi. Je me demande si son feu n’est pas plutôt là pour nous guider,
et non pas pour nous brûler. A l’époque de Saint-Georges, il était peut-être encore
conseillé de tuer le dragon. Mais aujourd’hui, nous nous trouvons à un autre
niveau de notre évolution. A l’aube d’une nouvelle civilisation qui est en
train de naître, je nous sens appelés à dépasser le vieux trio infernal et
toute cette culpabilité qui va avec.
Nous sommes en train de devenir des êtres adultes,
entièrement responsables de leurs pensées, leurs paroles et leurs actes. Nous
n’avons plus besoin de détruire et de tuer car nous avons commencé à apprendre
l’art de la transmutation. Comme ces vieux alchimistes, nous savons aujourd’hui
transformer la matière sombre et lourde en matière précieuse. Nous sommes en
train d’apprendre à dissoudre l’obscurité en y envoyant de la lumière. Nous prenons
conscience que les événements ne reflètent que le degré de notre paix et notre
harmonie intérieures et qu’ils nous aident à résoudre ce qui nous fait mal.
Ce n’est pas le « Mal » qui nous fait souffrir. Ce
sont nos propres résistances, c’est-à-dire tout ce qui est dur en nous, toutes
ces blocages qui empêchent les énergies de circuler. Le dragon m’inspire alors non
pas à le tuer, mais à prendre l’épée de Damoclès qui flotte toujours au-dessus
de ma tête et de commencer à m’éplucher. J’enlève toutes ses couches que j’ai
mises autour de moi et qui me rendent lourde et intransigeante et qui empêchent
l’énergie de circuler librement en moi. L’image me vient alors que je deviens
de plus en plus transparente pour que la lumière puisse passer.
C’est ainsi que je me sens guérir de toute chose. Ce n’est
pas en m’armant et en montant mes défenses, mais en me rendant ouverte et
accueillante. Je me demande d’ailleurs si Saint-Georges ne connaissait pas déjà
cette vision des choses. Dans son combat, il se montre, comme vous l’avez aussi
remarqué, à visage découvert. Ce n’est peut-être pas pour mieux voir l’ennemi
mais pour se montrer comme il est, sans se cacher.
Je vous remercie de votre patience et vous souhaite une bonne
continuation de votre travail.
Cordialement,
Kerstin Chavent
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