Le week-end du 18 et 19 octobre, je participe à un colloque de thérapeutes et de praticiens de la Psychosynthèse. Le sujet est la volonté. Dans mon intervention je parle des limites de la volonté. Voici le texte:
En juillet 2012, j’apprends que j’ai un cancer du sein. C’est une semaine avant mon mariage. J’avais moi-même senti la boule – après avoir passé du lait de chaux, blanc, dans ma maison. J’avais déjà un mauvais pressentiment. J’entends tumeur – tu meurs – et ma première réaction est Non, pas moi ! Pourquoi maintenant !? Je ne veux pas !!
Heureusement, on ne me laisse pas le temps de paniquer. Le jour même on me donne un rendez-vous avec mon chirurgien. Au moment où nos témoins de mariage arrivent, nous partons à l’hôpital. Ce clin d’œil du destin apporte déjà de la lumière dans une nouvelle plutôt sombre.
Je suis un protocole
classique – chimiothérapie, intervention chirurgicale, radiothérapie – et,
parallèlement, me fais aider par des thérapies complémentaires
(ostéopathie, massages selon la médecine chinoise, biokinergie,…). Après chaque
séance de radiothérapie, j’ai un rendez-vous à distance avec un magnétiseur. Je
suis assise chez moi, toujours à la même heure, et j’imagine en même temps que
lui comment le feu des rayons s’arrête. A la fin de mon traitement, je ne suis
pas brûlée.
Les traitements
traditionnels me donnent plutôt l’impression d’être impuissante. Je me sens
comme un objet car ce sont les autres qui font quelque chose avec moi. J’espère
qu’ils connaissent bien leur métier, qu’ils savent ce qu’ils font et qu’ils le
font pour mon bien. Ce sont eux qui ont le savoir et le pouvoir.
Je décide de faire
confiance et subis tant bien que mal ce que l’on me propose. Tout ce que j’ai à
faire est de l’accepter. Accepter sa maladie, accueillir ce qui est, est
déjà beaucoup. C’est le premier pas. Il n’est pas des moindres car nous avons
plutôt tendance à vouloir repousser ce qui nous fait mal. Or, d’après
moi, ne pas regarder le mal, ne pas regarder ce qui nous fait peur, ne ferait
qu’agrandir le mal car nous attirons toujours vers nous ce que nous craignons
et ce que nous voulons à tout prix éviter.
Accueillir en soi des
agents chimiques qui risquent de faire autant de mal que de bien ou se faire
irradier délibérément n’est pas une mince affaire. Je l’accepte difficilement -
mais est-ce tout ce que je peux faire ? Et comment je vais vivre
après ? Que faire de cette peur qui, désormais, m’accompagnera pour le
restant de mes jours ?
C’est à ce moment que je
décide d’avoir recours aux thérapies complémentaires. Ce sont elles qui
m’ont aidé à changer mon regard. Je me sens moins impuissante. Plus encore que
les traitements traditionnels, ils se bâtissent sur ma participation. Si je ne
suis pas ouverte et confiante ils me feront moins d’effet. Je deviens
partenaire, co-responsable de ma santé.
Responsable de guérir – pas
coupable d’être tombée malade ! J’entends souvent dire qu’il ne faut pas
en plus culpabiliser les malades, par contre pour moi, le plus important, c’est
justement là ou commence la guérison : en acceptant sa propre
responsabilité pour sa santé, sa vie. C’est là où se trouve la différence entre
le patient et la personne.
A la clinique, j’entends
souvent dire chaque personne est différente. On ne peut pas me garantir
la guérison, on a seulement l’expérience des statistiques. Hippocrate, toujours
considéré comme le père de notre médecine, disait que toute guérison ne vient
pas de l’extérieur mais de l’intérieur. Albert Schweitzer parlait du médecin à
l’intérieur de nous. Si la guérison vient alors, au fond, de l’intérieur de
moi, la seule personne qui puisse y accéder est moi.
C’est ici que se pose la
question de la volonté.
Je veux guérir.
Je veux survivre ce cancer. Je veux m’en sortir. La volonté me
pousse à me mettre en route. Elle est peut-être comme le geste de la clé que
l’on tourne pour mettre en marche le moteur. Mais elle est plutôt comme
l’étincelle qui déclenche le processus de combustion, elle n’est pas le
carburant.
Il ne suffit pas de
vouloir rester en bonne santé ou de vouloir guérir d’une maladie. Les lits des
stations de soins palliatifs sont pleins de personnes qui veulent vivre,
vraiment ! Je peux entretenir pendant des années ou toute une vie un vœu
sans que rien ne se passe. Je n’arrête jamais de fumer, ne rencontre jamais
l’âme sœur et ne vis jamais cette vie heureuse que je souhaite tant.
La question est
donc : Qu’est-ce qui déclenche le changement ? Car c’est cela à quoi
nous invite la maladie. Léon Renard, psychothérapeute belge, dit que c’est notre
résistance au changement qui nous tue. Quelle est la force qui nous permet de
changer d’attitude, de regard ? Qu’est ce qui nous pousse à
l’action ?
Mon métier est la
formation. J’enseigne les langues étrangères. Je dis souvent à mes étudiants de
faire comme s’ils étaient des Allemands ou des Espagnols, de se mettre à leur
place. Faire comme si. Ne pas se demander est-ce que je suis
capable de parler ? Ne vais-je pas faire trop de fautes ? Est-ce
qu’on va comprendre ce que je veux dire ? Ne suis-je pas ridicule ?
…
Nous apprenons en
faisant les choses. On apprend à nager en nageant, à jouer d’un instrument en
s’entraînant et à parler une langue en la parlant. Est-ce qu’on peut aussi
apprendre à être en bonne santé en étant en bonne santé ? Qu’est-ce
que j’ai à perdre en l’essayant ?
Dans ce processus, la
volonté seule ne suffit pas. La linguiste en moi se penche alors sur la
question : le verbe vouloir est ce qu’on appelle un verbe de
modalité. Il désigne un mode, une façon de faire. Selon la grammaire, le verbe vouloir
ne peut pas aller seul. Il a besoin d’un complément, d’un autre verbe.
C’est cet autre verbe qui désigne l’action. Je veux sortir, je veux manger,
je veux dormir n’est pas la même chose que je sors, je mange, je dors.
Vouloir n’est qu’un auxiliaire qui indique la direction.
Le passage à l’acte
nécessite une décision. Entre vouloir une chose et décider
une chose, entre je veux et je fais se trouve tout un monde.
Voltaire disait J’ai décidé d’être heureux. Une décision est comme un interrupteur
que l’on met sur on ou off. Oui ou non. Le courant passe ou ne
passe pas. Pour moi, cela change tout.
Il y a des années, quand
j’ai encore fumé, j’ai arrêté parce que j’ai pris la décision d’arrêter. Je
voulais arrêter depuis des années, mais je ne changeais jamais mes habitudes.
C’est au moment où je l’ai décidé que je l’ai fait. J’ai décidé d’être libre de
cette fumée. Point. J’ai dit oui à une chose et non à une autre.
Même si, au début, je faisais comme si. Comme si je ne fumais pas. Après
quelques semaines, le comme si devient une nouvelle habitude.
Quand j’ai appris que
j’avais un cancer, je me suis souvenue de cette expérience. Depuis l’annonce de
ma maladie, je voulais guérir, je voulais survivre ce cancer.
Mais je connaissais aussi les limites de ma volonté. Je savais que cela ne
suffisait pas pour m’en sortir. Alors j’ai décidé de guérir. De faire comme
si j’étais guérie. Je suis guérie. Même si après un cancer du sein
il faut statistiquement 27 ans avant de pouvoir se prononcer avec certitude.
Même si demain peut-être j’en mourrai. Aujourd’hui, je suis guérie – et c’est
tout ce qui compte. Ma réalité est l’instant présent.
Je ne parviens pas
toujours à penser comme ça, loin de là. Mais je suis en chemin.
J’ai trouvé pour moi
quelques outils pour apprendre à être plus attentive à l’instant présent. L’un
des plus important est la méditation. J’ai commencé à la pratiquer
pendant ma radiothérapie lors de mes rendez-vous à distance avec mon
magnétiseur. La méditation telle que je la pratique a pour outil principal la
respiration. Inspirer – expirer, accueillir – lâcher, prendre – donner.
A travers cette
expérience, j’ai connu une association qui s’appelle Tonglen. Cette
association accompagne des personnes en souffrance : dans le milieu hospitalier
et carcéral, des maisons de retraite, mais aussi des entreprises. Partout là où
il y a de la souffrance. Tonglen - en tibétain cela veut dire prendre et
donner. Nous apprenons à garder l’équilibre entre les extrêmes.
Lors de nos formations,
nous nous servons beaucoup de l’outil de la méditation et faisant régulièrement
des pauses qui durent quelques minutes pour nous poser, pour rentrer en contact
avec nous, notre ressenti du moment et prendre contact avec le moment présent.
Je me sers aussi beaucoup
de la visualisation et de l’autosuggestion. Quand j’étais encore à
Hambourg, j’ai participé à une formation en entrainement autogénique selon
Schulz, une méthode de relaxation très répandue en Allemagne. Je me rappelle de
la petite histoire que notre formateur nous a raconté au début pour illustrer
le travail que nous allions entamer :
Dans une gare de
marchandise, le soir, l’employé chargé de vérifier l’état des choses, entre
dans un camion frigorifique. Par malheur, la porte se ferme et il reste coincé
à l’intérieur. Il sait qu’il est le dernier à la gare et que personne ne va le
découvrir avant le lendemain matin. Il sait qu’il est enfermé dans un frigo
géant. Il sait qu’il va mourir… Le lendemain matin, ses collègues le
découvrent, mort. Ils découvriront aussi que le camion frigorifique n’était pas
branché. C’est-à-dire qu’il faisait une température ambiante, pas froide.
L’employé n’est donc pas mort de froid, mais de l’idée de mourir de
froid !
Notre imagination
a une forte influence sur notre façon de percevoir notre réalité. Nous le
sentons au moment où nous évoquons, par exemple, l’idée de mordre dans
une tranche de citron. Immédiatement, nous commençons à saliver car notre
cerveau prend l’idée pour la réalité.
Notre cerveau ne fait
pas de différence entre le réel et le virtuel, entre une chose et l’idée d’une
chose. C’est ici que le faire comme si prend finalement toute son
ampleur. J’imagine mon corps en harmonie et en équilibre, car c’est cela un
corps en bonne santé.
Je passe des informations
à mon corps. Je communique avec mon corps. Les messages que je lui envoie sont
très simples, come si je parlais à un enfant. Dans ces messages, il n’y a pas
de « je veux ». Je veux être en harmonie, en bonne santé ….
Il y a uniquement le « je suis ». Il n’y a pas de négation non
plus, car notre cerveau, à ce niveau, ne sait pas reconnaître une négation. Je
ne suis plus malade équivaut à Je suis malade.
J’imagine alors mon
corps, mes organes, tout mon organisme, mes cellules, ma tumeur – et j’imagine
comme elles sont nourries de lumière, baignés dans la lumière. La lumière
guérit. Ainsi, tout devient fluide. Tout communique.
C’est ainsi que la communication,
mon métier, déploie toute sa signification pour moi. Mon corps communique. Il
exprime ce qui s’est imprimé en lui. Il communique avec moi à sa façon. Le
mal-a-dit. Et moi, à mon tour, je communique avec lui. Paul Watzlawik disait
qu’il nous est impossible de ne pas communiquer. Nous communiquons avec le
monde extérieur, mais aussi avec notre « monde intérieur ». Pour moi,
le cancer n’est pas fondamentalement hostile mais un problème de communication.
De là est né mon livre.
La maladie guérit – de la pensée créatrice au dialogue avec soi. Il
raconte mon parcours et mon attitude face au cancer. Ce cancer que notre
société déclare comme un des ennemis publics numéro 1. Des tumeurs
malignes qui attaquent notre organisme et que nous devons combattre. Nous
sommes en guerre contre cette maladie et montons de l’artillerie lourde pour
lutter contre.
Nous oublions que ce
sont nos corps qui créent les tumeurs. Ca se passe à l’intérieur de nous et
c’est forcément en rapport avec nous et notre façon de vivre. Le livre parle de
l’accueil de maladie, de la responsabilité que nous avons envers notre corps.
Ce corps qui exprime ce qui s’est imprimé en lui et qui communique avec nous à
sa manière.
Ce livre parle de notre
potentiel d’auto-guérison et de notre pouvoir créateur. Il parle
plus du pouvoir que du vouloir et beaucoup de l’importance du
lâcher, de l’abandon à la vie et de la confiance. Car le propre de la vie est
de toujours aller vers l’équilibre et la lumière. C’est surtout cette confiance
que j’ai envie de transmettre.
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