samedi 30 juillet 2016

Toujours coupables?

Nous sommes tous nés avec le poids de la culpabilité. La tradition judéo-chrétienne a laissé son empreinte dans nos esprits et dans nos corps, dans les histoires de nos familles et de nos peuples. Depuis que le fruit défendu de l’arbre de la connaissance du bien et du mal a été mangé, nous nous réveillons le matin avec le goût amer de la faute originelle. C’est à cause de nous que les choses se passent mal. A cause de nous, nos amis passent une soirée médiocre car nous avons trop salé la soupe. A cause de nous le voisin broie du noir car nous avons oublié de l’inviter et à cause de nous la mère se trouve au bord de l’infarctus car nous lui avons annoncé que nous ne viendrons pas ce dimanche. Nous trainons notre mauvaise conscience jusqu’au coucher et bien souvent nos faux pas nous empêchent de dormir. Pour trouver un peu de répit, nous essayons de jeter nos fautes sur les autres. Coincés derrière nos boucliers forgés d’accusations et de justifications, nous défendons ardemment ce qui reste de l’estime que nous portons à nous-même. Sans joie mais avec beaucoup d’énergie, nous entretenons la tradition de ce bon vieux jeu de l’innocent, du coupable et du sauveur. 

Croyons-nous vraiment que nous avons le pouvoir de changer la trajectoire des choses ? Pensons-nous que c’est à cause de nous que les événements arrivent ? Que c’est par notre faute que le monde est ce qu’il est ? Certes, nous avons tous contribué à changer le climat de notre planète et à exterminer une bonne partie de ses habitants, nos avons inventé des techniques capables de créer, de détourner et de détruire - mais nous ne savons pas pourquoi les choses sont ce qu’elles sont. Nous ne savons rien des raisons qui se trouvent derrière les explications que nous leur donnons. A + B ne font pas toujours C et l’univers ressemble plus à un hologramme où tout est interconnecté de manière infiniment complexe qu’à une ligne droite sur laquelle les choses s’alignent sagement. Tout en croyant tout savoir, nous ne percevons qu’une infime partie de ce que nous appelons notre réalité. Mais la terre que nous croyions plate et qui s’est révélée ronde n’a pas fini de nous surprendre. 

Le rendez-vous manqué, l’épreuve ratée, la soirée gâchée, … la séparation, l’accident, la maladie, … – nous ne savons rien des vraies causes des petites et des grandes catastrophes qui arrivent dans notre vie. Nous pouvons nous en vouloir à nous ou à d’autres et nous tordre les méninges pendant des années, mais nous ne saurons jamais pourquoi les choses se sont passées comme ça et pas autrement. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas fini notre assiette qu’un autre enfant est mort de faim. Certes : nous sommes impliqués dans ce que crée notre société, nous faisons partie de ses histoires. Il est vrai que nous avons en nous non seulement un énorme potentiel créatif mais aussi un très grand potentiel destructeur. Mais même si nous avons le pouvoir de créer des sécheresses ici et des déluges ailleurs, nous ne faisons pas la pluie et le beau temps. 

Tout ne dépend pas de nous. Les événements ne tournent pas autour de notre nombril. Il y a plus grand que nous et nous sommes très loin d’avoir pénétré les mystères de la Vie. Notre sentiment de culpabilité, ne porte-t-il pas l’arrière-goût d’une démesure ? Est-il la conséquence d’une sorte d’indigestion provoquée par le fait d’avoir mangé trop de fruits du savoir ? Avons-nous oublié de mâcher ? Notre savoir, n’est-il pas resté coincé quelque part entre notre tête et le reste de notre corps ? Le savoir est matière morte quand il ne devient pas connaissance. Connaître : naître avec. Par l’expérience, le savoir se met enfin en mouvement. Le chemin est libre pour que les énergies circulent à nouveau. Rien n’est sûr ; tout est à découvrir. Quand nous arrivons à accepter qu’au fond, nous ne savons rien et ne pouvons rien, notre vraie grandeur peut se révéler : celle de porter la lumière de notre conscience sur ce qui est et laisser arriver les choses avec la confiance d’un enfant qui sent qu’il est en sécurité. 

La culpabilité que nous trimbalons reflète non seulement un manque de confiance mais aussi un manque d’humilité. Nous croyons tout savoir et pouvoir tout contrôler. La culpabilité, c’est l’orgueil à l’envers. Il est prétentieux de penser que nous avons le pouvoir de faire arriver les choses. La pensée positive, très à la mode, ne peut rien si nous ne nous inclinons pas devant plus grand que nous. Elle est l’expression du capitalisme poussé à son extrême quand nous prenons l’univers pour un supermarché gigantesque auquel il suffit d’envoyer ses listes de vœux pour les voir s’accomplir. Si la surestimation est le reflet d’un manque d’humilité, la sous-estimation ne l’est pas moins. Se croire toujours petit et faible nous dégage de notre responsabilité et c’est ainsi que se cacher derrière son impuissance revient finalement au même qu’être imbu de sa perfection.

Nous nous trouvons aujourd’hui devant le défi de monter sur le fil tendu entre la culpabilité et la responsabilité. Tandis que la culpabilité est liée au passé, la responsabilité nous lie au présent. Nous ne pouvons pas changer ce qui se trouve derrière nous – mais nous pouvons choisir l’attitude que nous adoptons face à ce qui se trouve devant nous. Le monde d’aujourd’hui nous le montre avec de plus en plus de clarté : nous ne sommes pas l’un ou l’autre – petit ou grand, puissant ou impuissant – nous sommes l’un et l’autre. Si la division nous aide à nous orienter, la compréhension de l’union nous libère. A nous de choisir et de lâcher le poids de certains attributs pour transformer notre mauvaise conscience en conscience. En prenant le chemin de la responsabilité, nous laissons la culpabilité derrière nous et devenons enfin adultes.


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