Nous portons en nous non seulement l’empreinte génétique de nos parents
mais aussi la mémoire familiale de plusieurs générations. Au cours du temps,
rien ne s’est effacé. Nos tissus et nos cellules sont imprégnés par le vécu de
ceux qui nous ont précédés. Anne Ancelin Schützenberger, auteur du livre Aïe
mes aïeux, démontre comment nous sommes étroitement liés à notre famille :
un problème qu’une génération n’arrive pas à résoudre sera transmis aux
générations suivantes où il pourra se manifester sous forme de maladies,
accidents ou autres troubles. Le travail du psychothérapeute allemand Bert
Hellinger va dans le même sens : sans nous en rendre compte, nous avons
tendance à porter ce qui a fait souffrir nos ancêtres et continuons à vivre ce
qui leur était destiné - jusqu’à ce que nous en prenions conscience. Tout ce
qui existe aspire à être vu et reconnu avant de pouvoir disparaître. C’est dans
ce même sens que Jung disait que tout ce que nous ne voulons pas voir nous
revient sous forme de destin.
Je ne veux pas entrer ici dans le travail de ces grands psychologues mais
m’appuyer sur leurs observations pour réfléchir sur un sujet qui me semble
essentiel pour notre santé autant psychique que physique : la libération
de nos attachements familiaux. Il ne s’agit pas de couper nos liens d’amour
mais de dépasser de ce qui nous empêche de nous épanouir dans notre vie.
Souvent, nous ne savons pas à quel point nous sommes liés à notre famille
d’origine. Peut-être nous en sommes nous séparés et n’avons plus de contact
avec nos parents, nos frères et nos soeurs – mais cela ne veut pas dire pour
autant que nous nous sommes défaits de tous ce qui nous rattache à eux. Je
pense que c’est une illusion de croire que nous puisions nous couper de nos
liens familiaux. Nous continuons à voyager dans le même train, même si nous
avons changé de compartiment depuis longtemps. Ce qui nous relie, au fond,
continue à agir sans que nous nous en rendions compte.
La question ne sera alors pas comment je défais les liens avec une mère
malveillante ou un père violent, mais comment j’apprends à les accepter comme
ils sont, avec leurs bons et leurs mauvais côtés. Dans une
famille, chacun a sa place, même le pire scélérat, le violeur, l’assassin et la
mère qui a abandonné ses enfants. Cela ne veut pourtant pas dire qu’il faut
accepter tout ce qu’ils ont fait ! Peut-être même n’arrivons-nous pas à
leur pardonner. Mais pour entrer dans une relation plus juste avec ce qui fait
partie de notre histoire, et donc de nous-mêmes, il est important d’admettre les
choses telles qu’elles sont, sans les condamner ni les enjoliver.
Il n’est pas facile de ne pas idéaliser ses parents.
Nous rêvons tous d’une mère douce et
bienveillante et d’un père attentif et juste, et nous cherchons la complicité
de nos frères et sœurs. Si nous ne l’avons pas vécu ainsi, cela ne veut pas dire que nous avons de
mauvais parents. Ils sont ce qu’ils sont et font au mieux dans le cadre de
leurs possibilités, limités eux aussi par ce qu’ils ont vécu avec leurs propres
parents. Chacun fait ce qu’il peut. Ce qui envenime et rend douloureuses les
relations que nous avons avec notre famille sont nos propres attentes. Si elles
sont déçues, nous avons tendance à les juger de ne pas avoir su répondre à nos
besoins. Ce que nous avons à apprendre est de rectifier l’idée que nous nous
faisons de notre famille : mes grands-parents n’étaient pas des
bienfaiteurs de l’humanité, ma mère n’est pas une sainte, mon père n’est pas un
héro et mes frères et sœurs ne sont pas mes amis. Si je me sens déçu par eux,
cela veut dire que je ne sais pas encore les voir et accepter comme ils sont.
Je sais alors ce que j’ai à faire : les descendre du socle que je leur ai
bâti ou les ramener à la surface pour les poser là où ils ont leur place :
sur cette terre. C’est ce que l’on appelle devenir adulte.
C’est ainsi que nous pouvons choisir à nouveau notre famille, en toute
conscience. Dans mon imagination, j’apprends à m’incliner devant eux et à les
remercier pour la vie qui m’a été transmise à travers eux: Je te vois et je
t’accepte comme tu es, toi qui fais partie de moi et de ma vie. Par respect
pour toi, je te laisse vivre ce qui t’est destiné. Je suis libre de vivre ma
vie et je te prie de me regarder avec bienveillance. Ils m’ont donné la
vie, mais je n’ai pas à porter ce qui est à eux. Chacun a son destin, chacun
ses peines et ses joies qui n’appartiennent qu’à lui. Personne d’autre ne peut
les prendre en charge. Je ne peux pas rattraper ce qui fait souffrir l’un ou
l’autre ou racheter un acte injuste. Tout ce que j’ai à faire est de vivre ma
vie. Rendre à l’autre ce qui est à lui, même si c’est lourd à porter, est avant
tout un acte de respect.
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